Football : Fracture clubs-supporters, un dialogue de sourds

25/04/2022
 📷 Precious Madubuike
📷 Precious Madubuike

« Il n'y a pas d'endroits dans le monde où l'Homme est plus heureux que dans un stade de football ».  Cette phrase, pourtant emplie de passion et de justesse d'Albert Camus n'a jamais autant été éloignée de la réalité qu'à l'issue de cette trente-quatrième journée du championnat de France de football.

Les tensions qu'entretiennent l'Olympique Lyonnais et le Paris Saint-Germain avec leurs groupes de supporters respectifs persistent depuis plusieurs années sans qu'aucune lueur d'espoir ne pointe le bout de son nez. Ces tensions semblent même avoir atteint leur paroxysme ce samedi.
Suite à la piteuse élimination en quart de finale de l'Europa League à domicile contre West Ham (0-3), les deux principaux groupes de supporters de l'OL ont décidé d'une grève d'encouragements jusqu'à nouvel ordre. Leurs motivations ? Manifester contre une équipe qui n'est « qu'une somme d'individualités sans âme et sans mental » mais surtout contre des dirigeants dont la communication « n'est faite que d'arbres qui cachent la forêt, de déclarations tonitruantes pour rassurer les actionnaires » et dont la gestion du club depuis des années ne rime plus qu'avec bilan financier et marchandisation : « Dans certaines strates du club, les amoureux du football et de l'OL ont été remplacés par des analystes financiers, des conseillers juridiques etc... des apparatchiks qui n'ont pas l'amour du club nécessaire pour exercer ces fonctions dans le respect de cette institution » ; « Il est tant que l'amour de l'OL, le club de foot, pas l'entreprise de loisirs cotée en bourse, reprennent le dessus et que nous retrouvions notre âme et notre identité »[1].

Mais ce samedi, en dépit de tout soupçon de modestie et d'intelligence, l'attaquant Karl Toko-Ekambi n'a pas trouvé meilleure réponse que d'adresser un « chut » mimé aux supporters, présents mais silencieux, avant d'avoir des mots bienveillants à l'égards de leurs génitrices. Pris en grippe par une partie d'entre eux jusqu'à la fin du match, le camerounais a publiquement été soutenu par ses coéquipiers, son entraîneur et son président. Cet incident est révélateur des liens entre les joueurs et les supporters qui ne se résument plus qu'à du ressentiment au détriment de tout rapport affectif, et de l'incompréhension de la colère des supporters par tout un club. Une incompréhension qui découle du manque de communication évident qui accentue la fracture entre les supporters et un club dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Toko-Ekambi a même tenu à remercier les « vrais supporters » de l'OL sur Instagram.

Avec quelle légitimité le salarié de l’Olympique lyonnais depuis 2019 se permet-il de différencier les vrais des faux supporters pourtant fidèles au club depuis des dizaines d'années ?

Où les joueurs du deuxième budget de Ligue 1, et pourtant pathétique 8e du championnat, trouvent-ils le culot et l'arrogance de demander aux supporters d'arrêter de se plaindre ?

 📷 Nathan Rogers
📷 Nathan Rogers

Quelques heures plus tard, les joueurs du Paris Saint-Germain fêtaient leur dixième titre de champion de France après le nul obtenu contre Lens (1-1) dans un stade inhabituellement vide pour l'occasion. Le groupe de supporters Collectif Ultra Paris (CUP) a en effet quitté sa tribune dix minutes avant la fin de la rencontre pour fêter le titre à l'extérieur du parc des princes, entre eux. Alors que la célébration d'un titre de champion est de coutume une partagée entre les supporters et les joueurs, celle de ce dixième sacre s'inscrit dans la continuité des mesures prises par le groupe de supporters pour s'opposer à la direction prise par le club ces dernières années. Pris de dégoût par « le visage d'un club qui se veut marque mondiale, obnubilée par les ventes de maillot » et par « le visage d'un club qui empile les stars comme un enfant trop gâté, sans souci de cohérence sportive »[2], le CUP semble arrivé au bout de sa patience.
Comme à Lyon, le club et les joueurs ne comprennent pas l'arrêt des encouragements, le mécontentement de supporters et ce que représente pour eux leur équipe de cœur : « Je ne comprend pas les supporters. On ne peut pas toujours gagner même si on fait tout pour » déclare après le titre le milieu italien Marco Verratti.   

Ces deux cas de figure illustrent parfaitement l'absence de lien entre le club et les supporters, comme l’a signalé le journaliste Daniel Riolo après le match du PSG : « Ce soir, le président du PSG n'était pas là. Je trouve que symboliquement, ça montre la fracture entre ceux qui dirigent et ceux qui payent leur place. ». Aucune reconnaissance n'est accordée aux supporters qui réalisent des tifos, paient leur place, se cassent la voix, délaissent parfois familles et amis pour se rendre aux stades, avalent des heures de transports pour encourager des mercenaires (pour la plupart) qui réagissent tels des vierges effarouchées dès qu'ils sont l'objet de critiques. Comme le souligne le journaliste, « le supporter ne peut pas juste être un consommateur docile » tant il investit de son temps, de son énergie et de son argent dans sa passion qui est le supporterisme.

Propriétaires, dirigeants, entraîneurs et joueurs ne sont que de passage dans un club où les supporters ont été là avant eux, et seront toujours là après eux. Ils ont construit l’histoire du club et en représentent l'âme. Cela ne leur donne en aucun cas tous les droits. Toutes les formes de violence verbale ou physique sont à condamner, mais cela leur donne une voix dont la légitimité n'est pas à remettre en cause. Toutes les composantes des clubs, des dirigeants aux joueurs, seraient bien inspirées de porter une oreille particulièrement attentive à cette voix s'ils veulent que le stade de football redevienne l'endroit dans le monde où l'Homme est le plus heureux.


[1] Citations tirées du communiqué des Bad Gones du 15/04 à retrouver sur leur page Facebook.

[2] Citations tirées du communiqué du Collectif Ultra Paris du 2/02 à retrouver sur leur page Facebook.

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